Par ordre Chronologique 1917
Bismarck, un ancien homme d’État, blâme l’Angleterre pour les conditions économiques en Allemagne qui les ont contraints à déclencher la guerre
Otto von Bismarck - reçu par James Padgett le 1 Février 1917, Washington, USA.
Je suis Bismarck. 1
Permettez-moi de dire un mot, car j’ai écouté ce qui vient d’être écrit et je m’intéresse à l’objet de cette communication, et je ne suis pas d’accord avec les sentiments ou les conclusions des réflexions qu’elle contient. Je ne suis pas impartial, je l’avoue, mais je pense que je peux rendre justice aux deux parties belligérantes, car je suis un esprit et j’ai appris que le droit est un droit, quelle que soit la personne ou la nation qui prétend avoir le droit dans ses actions.
Je fus un Allemand, et un Allemand assez important, car les hommes considèrent l’importance dans la vie terrestre, et le monde a reconnu que j’étais en quelque sorte un homme d’État. J’ai gardé un contact constant avec les pensées et les motivations des dirigeants des diverses nations engagées dans ce grand conflit, et je connais le bien et le mal des choses dans une plus grande mesure que l’esprit qui vient de vous écrire, et je prétends que mes conclusions et mes opinions méritent autant de considération et d’acceptation que les siennes.
Tout d’abord, cela n’a pas été provoqué par les Allemands sans raison et sans motif. Pendant longtemps les dirigeants allemands ont retardé et se sont efforcés de reporter et, si possible, d’éviter la guerre. Mais leurs droits, en tant que nation, ont été si sérieusement bafoués et non reconnus que la seule chose qui leur restait à faire était de contraindre leurs ennemis secrets à respecter leurs droits par la force des armes, et ainsi vous avez la véritable cause du conflit. Les Allemands n’étaient pas désireux ou ambitieux de conquérir un territoire ou de progresser au détriment d’autres nations, mais seulement d’acquérir ce à quoi ils avaient droit en tant que grande nation. Et l’Angleterre, dans sa cupidité, s’opposait à la reconnaissance de ces droits et les empêchait d’être reconnus, et essayait par tous les moyens en son pouvoir d’empêcher la nation allemande de jouir de ces droits, et surtout d’étendre son commerce aux pays où l’Angleterre avait établi son commerce, à l’exclusion presque totale des autres nations.
Les Allemands ont attendu dans l’espoir que, par des moyens diplomatiques, leurs droits soient établis et reconnus, mais cet espoir ne s’est jamais réalisé et, en dernier recours, ils se sont lancés dans la bataille, rapide, brutale et destructive – avec quelques violations de la neutralité qui empêchait la nation Allemande un coup décisif. Mais c’est l’histoire, et il n’est pas nécessaire que j’ajoute d’autres détails.
Et maintenant, alors que la guerre progresse depuis plus de deux ans, l’Allemagne a naturellement épuisé ses ressources, en particulier les ressources vitales nécessaires à la survie physique de son peuple, en conséquence de l’action des Alliés pour empêcher que des denrées alimentaires et autres produits de première nécessité soient importés des autres nations. Ses ports sont bloqués depuis longtemps, elle n’a pas pu obtenir les approvisionnements absolument nécessaires à l’existence de son peuple lequel est actuellement en proie à la famine et la misère. La situation est catastrophique et le peuple pleure pour sa survie.
Alors, devant cet état de fait, quel est le devoir des dirigeants allemands ? Humainement peuvent-ils accepter cela, laisser leur peuple mourir de faim et voir leur pays ruiné par les conditions dont je parle et engendrées par leurs ennemis qui les empêchent d’avoir des relations avec les nations extérieures ? Je sais que le droit international doit être respecté par les nations en temps de guerre comme en temps de paix, et que c’est dans l’intérêt de toutes les nations que ces lois demeurent sacrées et intouchables. L’Allemagne a essayé de les observer, même après que certains de ses pays ennemis les aient violées.
Comment peut-on faire la différence entre le bien ou le mal d’un fait lorsque le même résultat est atteint ? L’Angleterre, par son nombre supérieur de navires de guerre, a réussi à bloquer les ports de l’Allemagne et à empêcher son peuple d’obtenir les approvisionnements nécessaires à sa subsistance, tout en profitant des avantages d’une importation sans restriction de ces nécessités, parce que l’Allemagne n’avait pas le pouvoir de bloquer les ports de l’Angleterre et d’empêcher son approvisionnement. Ce genre de blocus, prétendent les nations, est justifié par le droit international, quels qu’en soient les résultats.
Et maintenant que l’Allemagne a trouvé le moyen d’accomplir la même chose, en ce qui concerne les ports d’Angleterre et de la placer, elle et son peuple, dans le même état que le peuple Allemand est depuis si longtemps, et qu’elle a fait part de son intention d’utiliser ces moyens, les nations se montrent horrifiées, car ces moyens ne sont pas connus en droit international.
L’effet d’un blocus est le même que l’effet d’un autre blocus, alors pourquoi les moyens utilisés devraient-ils faire la moindre différence ? L’Amérique n’a pas été autorisée depuis longtemps à envoyer ses produits dans un port allemand. Par conséquent, et comme l’a dit le dernier auteur, les États-Unis sont l’objet d’un blocus ; mais cela est permis, car, comme ils le disent, le blocus anglais est conforme au droit international reconnu. Tout cela signifie que, parce qu’une nation a le pouvoir de faire une chose conformément au droit international, une autre nation n’a pas le même droit parce que les moyens utilisés ne sont pas prévus par ce droit. Eh bien, un tel raisonnement en est un qui, s’il avait été appliqué au progrès du monde, aurait maintenu ce progrès dans un état de stagnation. Lorsque le droit international a été formulé, les moyens et instruments utilisés dans cette guerre n’étaient pas connus, et ils ne sont que l’expression de l’évolution de la guerre, fruit du progrès de l’homme dans la connaissance et les nécessités de la guerre. Les lois sont toujours sujettes à changement et ce changement n’a pas besoin d’être formulé dans un accord, car parfois, et cela s’est souvent produit, la nécessité a obligé et justifié la modification de la loi.
Il est dit que la nécessité est au-delà de la loi, et c’est une vérité qui a été reconnue et appliquée, à de nombreuses reprises, par de nombreuses nations. Dans les circonstances actuelles de l’Allemagne, cette nécessité est telle que l’existence même de l’Allemagne, non seulement en tant que nation, mais aussi de son peuple en tant qu’individus, est en jeu. Lorsque la vie est en jeu, le seul remède est que les nations qui combattent l’Allemagne soient placées dans la même situation qu’elle, et cela ne peut être réalisé que par des entraves aux approvisionnements qui sont indispensables au fonctionnement de leur pays et cela ne peut être accompli que si leurs ports sont paralysés.
Il est aussi possible de dire que l’utilisation du sous-marin est brutale et inhumaine. Certes, on peut la caractériser comme telle, cependant il n’est pas nécessaire qu’une brutalité ou un meurtre soit réellement infligée car, si les personnes intéressées tiennent compte des avertissements et ne tentent pas de mettre en place le blocus, il n’y aura ni meurtre ni indignation. Pourquoi, ne puis-je pas demander, et exiger, que le blocus établi par les sous-marins allemands ne soit pas plus tenté d’être violé que le blocus établi par les Anglais ne l’a été ? Dans ce dernier cas, les nations neutres reconnaissent le blocus et n’essaient pas de faire entrer leurs navires marchands dans les ports qui sont ainsi bloqués, et pourquoi considère-t-on une plus grande injustice que l’Allemagne exige que ces navires neutres n’entrent pas dans les ports qu’elle entend bloquer ? La seule différence réside dans les moyens utilisés. Si les nations neutres respectent, de façon identique, les obligations que chaque blocus impose, il ne sera pas nécessaire de recourir à ces moyens.
Je ne vois pas pourquoi les États-Unis devraient avoir l’impression que leurs droits sont violés plus largement, plus différemment, ou plus illégalement, par le blocus allemand plutôt que par le blocus qui a été créé et mis en place, depuis si longtemps, par les Anglais. Évidemment, les effets des deux blocus sur les affaires des États-Unis sont d’un degré différent, car ils ont fait et font plus d’affaires avec les Alliés qu’ils n’en ont fait avec l’Allemagne. Mais cela n’entre pas en ligne de compte et n’affecte pas la question du bien-fondé ou non du fait. Eh bien, je n’écrirai pas plus sur ce sujet.
Quant aux résultats de la guerre, ou plutôt quant à sa fin, je ne peux pas faire de pronostic. L’Allemagne se bat dans des conditions très inégales, elle risque d’être vaincue, et je ne serais pas surpris si cela mettait un terme au conflit. Mais, néanmoins, et même si les Alliés peuvent remporter la victoire, j’affirme que le droit est avec elle et que les nations neutres ne lui rendent pas justice quand elles déclarent qu’elle est l’agresseur et que sa poursuite actuelle du conflit est injustifiée. On me dit que j’en ai assez écrit, et je dois donc m’arrêter, mais ce que j’ai dit était bien fondé.
Bonne nuit, votre ami, Bismarck. 2
Bismark (1er Avril 1815 - 30 Juillet 1898)- premier chancelier du nouvel Empire allemand de 1871 à 1890. Les principaux messages relatifs à la première guerre mondiale sont disponibles par l’intermédiaire de ce lien.↩ L’ensemble des messages relatifs à la première guerre mondiale sont disponibles par l’intermédiaire de ce lien.↩