Messages Contemporains 2003
Le monde d’un enfant
Judas - reçu par H____ le 29 Juin 2003, Cuenca, Équateur.
« Je me souviens aussi qu’une fois, alors que je cherchais des petits objets et les êtres minuscules de mon monde à l’arrière de ma maison, j’ai remarqué un trou dans une planche de la clôture. J’ai regardé à travers le trou et j’ai vu beaucoup de choses semblables à celles de mon domicile, jachères et sauvages. J’ai fait quelques pas en arrière car, vaguement, je savais que quelque chose était sur le point de se passer. Soudain, une main est apparue. C’était la petite main d’un enfant de mon âge. Quand je me suis approché, la main avait disparue et à sa place, il y avait un petit mouton blanc.
C’était un mouton de laine défraîchie. Les roues sur lequel il avait roulé avaient disparu. Je n’avais jamais vu un mouton aussi joli. Je suis allé à mon domicile et je suis revenu avec un cadeau que j’adorais et j’ai laissé dans le même lieu : un cône de pin, semi-ouvert, parfumé et balsamique.
Je n’ai jamais revu la main de l’enfant. Je n’ai jamais revu un mouton comme celui-ci. Je l’ai perdu dans un incendie. Et même maintenant, dans ces années, quand je passe devant un magasin de jouets, je regarde furtivement les vitrines. Mais c’est en vain. Plus jamais un mouton comme celui-là a été fabriqué. »
Pablo Neruda : J’avoue ce que j’ai vécu. Mémoires.1
Et tu te rappelles que, étant un garçon, tu avais pour habitude de passer des heures, allongé sur le dos, dans l’herbe, regardant les nuages et reconnaissant en eux des animaux, des figures, toutes sortes de choses. Te tournant, tu as vu les fleurs des prés, les couronnes jaunes du pissenlit et les abeilles assis sur elles, avec leurs queues inclinant la tête en haut et en bas, alors qu’elles recueillaient le pollen sur leurs jambes. Tu as vu les libellules à vol d’oiseau coupant l’air avec une habilité remarquable, cristalline et pointue, et ton grand-père les a toujours appelées « tailleuses de verre. » C’était un monde mystérieux et fascinant, un monde qui s’est perdu.
Tu n’oublies pas qu’un jour tu as pu attraper une libellule. Tu l’as tuée avec du diméthylbenzène, et tu l’as emmenée à ton domicile pour essayer le nouveau cadeau que tes parents t’avaient donné lors de ton anniversaire : un microscope. Avec le scalpel et les pincettes, tu as réussi à ouvrir le harnais ferme de son thorax, découvrant la musculature croisée à l’intérieur. Délicatement, tu as fait des coupes, tu les a teintées et fixées avec du Baume du Canada.
Une partie de ta curiosité fut satisfaite, mais ta curiosité n’a pas diminué. Et le pire de tout, la satisfaction acquise ne fut pas profonde, même pas éphémère; elle a cessé en cet instant même.
Le mystère et l’attraction des libellules existent encore, mais la vive couleur de l’excitation est devenue pâle, comme si le mystère avait perdu de son intérêt. Les modèles réduits, appelés réalité, ont progressivement remplacé la fascination de l’enfant. Maintenant, définitivement, tu es un adulte.
Là-bas, il y a des milliers d’années, sur les rives du fleuve du Nil, il y avait l’enfant Jésus, jouant avec les scarabées, regardant les grains de sable, tous différents. En fait, il n’avait pas envie d’enquêter. Devant le mystère, la beauté se manifeste dans chaque petite fleur des mauvaises herbes, il s’est ouvert, il s’est rempli. Il a conversé – avec son ami -, comme il Le connaissait alors, ou avec son Père, comme il prit l’habitude de l’appeler plus tard.
Il quittait la maison en disant à son père Joseph :
« Je vais jouer et parler avec mon ami. »
Et Joseph répondait :
« Ok, vas-y. Mais ne reviens pas tard ! »
Mais quand il l’observait secrètement, il ne réussissait pas à voir un ami. Le garçon était toujours tout seul, jouant avec du sable ou des scarabées. Et Marie avait pour habitude de calmer son mari :
« Ne t’inquiète pas. Ce sont ses fantasmes, ils vont disparaître. Ce sont des choses de l’enfance. »
Oui, ce sont des choses pour enfants, et heureusement, elles n’ont jamais quitté Jésus. Il avait raison, personne ne le comprenait: Il jouait et conversait avec son ami, avec son Père. Des conversations, échangeant l’amour, recevant la sagesse, approfondissant le mystère sans le détruire. La beauté et le mystère n’ont jamais perdu leur couleur pour Jésus; ils n’ont jamais perdu leur intérêt.
L’affirmation selon laquelle nous devons devenir comme des enfants pour entrer dans le Royaume des Cieux, a beaucoup d’interprétations. L’un d’elles est tout simplement: voir, reconnaître, observer et inhaler le mystère et la beauté; pour devenir rempli de la splendeur de tout ce qui est autour de nous et pour s’ouvrir à Lui, qui se cache derrière les choses.
Je te souhaite une belle journée.
Judas.
Pablo Neruda s’est également exprimé par l’intermédiaire des messages suivants :↩
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